Le service de l'enseignement cherche à revaloriser la filière gymnasiale, désertée par les élèves. En effet, 17% de ceux-ci empruntent cette voie d'études en Valais, contre 20% dans le reste de la Suisse. Les enseignants du CO ont reçu tout récemment un courrier du chef de service pour nous demander de <strong>présenter aux élèves le discours prononcé par le chef du département</strong> lors de journées portes ouvertes au collège de la Planta !

En pièce jointe donc, l’intervention du Chef de Département (M. Freysinger) du samedi 31 janvier 2015, et une demande du chef de service (M. Cleusix) : « Il serait opportun, dans le cadre que vous jugerez adéquat, d’en parler avec vos élèves. » Alors, que dit notre chef ? Accrochez-vous, il n’en va pas moins de la réponse à LA question existentielle suprême :

Le sens de la vie (Monty Pythons)

Le discours

Le contenu du discours, prononcé devant des enseignants et élèves du collège, ainsi que des parents et autres jeunes intéressés par ces études, est un hymne à la voie gymnasiale, une défense de l’enseignement humaniste qui y est dispensé :

Le collège englobe tout, il forme l’être dans sa totalité, son universalité, il donne sa noblesse à la soif d’apprendre, c’est un généraliste des savoirs.

Jusque-là ça va, ayant passé par le collège, je reconnais les qualités de cette formation humaniste. Continuons la lecture :

Le collège n’est pas utilitariste au sens matérialiste du mot. Il est utile à ce qui parait si inutile aux chantres du « new public management » et autres restructurations et « assainissements » qui rendent malades les gens, il est utile à l’humain.

Faut-il que je rentre dans ce débat avec les élèves ? Faut-il que je leur parle des « assainissements qui rendent malade », d’ailleurs de quoi parle-t-il ? Juste après, on peut encore lire ceci :

Or, le collège est précisément l’institution qui donne aux jeunes des instruments affinés et diversifiés pour aborder les questions essentielles, celles qui leur permettent de donner un sens à leur vie, de définir des valeurs, de dessiner les contours du futur de l’humanité, de perpétuer dans un sens digne l’évolution civilisationnelle qui a mené jusqu’à eux.

Oui, vous avez bien lu : non pas une institution, mais L‘institution : en dehors du collège, on ne peut pas trouver de sens à sa vie, faute d’outils adéquats ! Donc mes élèves qui s’en sortent tout juste en niveau II, avec beaucoup d’aide, ne trouveront jamais de sens à leur existence ? Faut-il que je leur dise cela de suite ou bien je les laisse avancer dans leur vie afin qu’ils s’en rendent compte tout seuls ? Ah non, ça c’est trop constructiviste !

À ce propos justement, M. Freysinger s’attaque ensuite à certaines méthodes d’enseignement :

Non, le macramé socioconstructiviste n’est pas l’aboutissement de ce à quoi peut aspirer l’homme durant son existence sur terre.

Le bonheur est donc dans la méthode pédagogique, voilà une philosophie plutôt originale ! Et puisqu’on est dans la quête du sens de la vie, poussons encore un peu plus loin la réflexion :

L’homme se façonne de l’intérieur, il se construit depuis les tréfonds de son âme en réponse aux impulsions du monde extérieur.

Ce n’est pas le monde extérieur qui saura lui donner la figure humaine du neuvième cercle du paradis de Dante en le taillant à la hache politique, en le ciselant au scalpel psychologique et en le ponçant au papier de verre pédagogique.

Hors du collège, point de salut ! Il va falloir que je change le sujet de mon prochain cours d’Éducation aux choix professionnels, et que je songe à faire un peu de transversalité avec mon collègue d’éthique.

Bon, plus sérieusement, revenons à un brin de politique pour arriver au bout de cet aperçu :

Or, la nouvelle loi sur le cycle qui fait de la troisième année une véritable voie d’orientation professionnelle, vient de boucler son premier passage à travers les trois années du cycle d’orientation. Réformer tout ça sans que cette loi ait pu vraiment déployer ses effets me semble pour le moins prématuré.

Il me semble que lorsque ça l’arrange, il affirme rapidement que les lois doivent être changées, surtout celle du CO qui l’embête franchement (intégration, conditions d’accès, coûts, …). Mais quand il peut se reposer sur la jeunesse d’une loi pour ne pas y toucher, il profite ! Comment on appelle ça, déjà ? Langue de bois, opportunisme, discours politique ?

Qu’en faire ?

M. Cleusix nous demande d’en parler avec nos élèves. Mais que cela signifie-t-il ? Sans développer de longs arguments inutiles vu la situation, voilà quelques réflexions à chaud :

  • qu’en est-il de l’utilisation d’un discours politique ou partisan en classe ?
  • le département a si peur de la baisse d’attractivité du collège qu’il veut avoir les enseignants du CO derrière lui ?
  • si les élèves ne vont plus au collège, c’est par notre faute, à nous les enseignants du CO ?
  • pour améliorer l’image du collège, n’y a-t-il donc rien de mieux qu’un discours ou un peu de publicité ?

Mais la question essentielle, à laquelle le service de l’enseignement n’a pas de réponse claire, est la suivante : pourquoi les élèves choisissent-ils moins souvent qu’auparavant les études gymnasiales ? M. Freysinger, dans son discours, propose de réaliser un sondage auprès des élèves et des parents. Espérons que ce soit plus sérieux qu’à l’accoutumée…

Conclusion

Étant donné les réactions des collègues, le chef du service de l’enseignement a assurément raté la cible. Et je ne peux pas imaginer que dans les autres écoles ce soit différent.

N’oublions pas que nous avons, la plupart des enseignants, passé par le collège, que nous avons « connu […] les vertus d’un enseignement humaniste », que c’est la principale filière dont nous pouvons parler en toute connaissance. MM. les chefs du DFS et du SE n’ont donc pas confiance en notre capacité de présenter le collège de façon attractive ? Peut-être se souviennent-ils trop bien de qui enseignait au collège à l’époque où nous y étions, et comprennent pourquoi notre image de l’enseignement prodigué est parfois écornée !